II
COMME DEUX ÉTRANGERS

Malgré l’obscurité, la petite place discrète et tranquille était exactement comme dans les souvenirs de Bolitho. Elle était entourée de hautes demeures fort élégantes dont toutes les fenêtres étaient brillamment illuminées. Les lumières éclairaient les arbres nus et trempés. Dans quelques semaines, les gouvernantes viendraient y promener leurs protégés en échangeant les derniers ragots sur leurs maîtres respectifs.

La voiture s’immobilisa dans un grincement de freins. Bolitho aperçut le visage d’Allday dans la lueur d’un réverbère. Il descendit, battit la semelle pour se dégourdir les jambes et se donner le temps de prendre bonne figure.

Un feu avait été allumé dans une ruelle. Les flammes, à peine visibles, étaient dissimulées par les nombreux palefreniers et cochers qui allaient attendre là, toute la nuit si nécessaire, le caprice de leurs maîtres et de leurs maîtresses. Peut-être pour les reconduire après quelque souper somptueux ou autre partie de cartes dans les salles de jeu qui bordaient la place. Bolitho était ici dans l’autre Londres, celui qu’il avait fini par tant détester. Une ville suffisante, qui ne réfléchissait à rien, incapable de la moindre pitié. Aussi différente du Londres de Catherine que l’étaient des marins de Bolitho tous ces prétentieux sans cervelle.

— Attendez ici, Mathieu – il jeta un coup d’œil à Allday : Et vous, mon vieux, venez avec moi.

Allday resta silencieux.

La cloche n’avait pas fini de tinter que la porte s’ouvrit devant eux. La silhouette d’un valet de pied se découpait à la lumière des chandeliers, mais ses traits restaient invisibles. On eût dit une sculpture en bois exposée dans une galerie à la mode.

— Monsieur ?

— Sir Richard Bolitho, matelot ! répliqua sans ménagement Allday.

Le valet se courba en deux. Bolitho nota que le superbe hall d’entrée avait été complètement refait. Des rideaux rouge bordeaux remplaçaient ceux qu’il avait vus lors de sa dernière visite. Et qui étaient déjà eux-mêmes tout neufs.

Il surprit des conversations à voix basse et des éclats de rire qui venaient de la salle à manger à l’étage. Ce n’était pas exactement ce à quoi il s’était préparé.

— Si vous voulez bien attendre ici, sir Richard, suggéra le valet de pied qui avait retrouvé un peu de son aplomb. Je vais vous annoncer.

Il ouvrit une porte. Bolitho reconnut une autre pièce en dépit des aménagements luxueux qu’elle avait subis. C’est ici qu’il avait vu Belinda après le complot qu’elle avait monté avec le vicomte Somervell, l’époux défunt de Catherine. Ils avaient réussi à faire incarcérer cette dernière à la prison de Waites en invoquant des motifs inventés de toutes pièces. Ils espéraient en agissant ainsi qu’elle serait condamnée à la déportation. Il n’oublierait jamais le moment où il avait découvert Catherine dans cette geôle infecte peuplée de faillis et de fous. Mais Catherine n’était pas le genre de femme que l’on peut mettre en cage, elle serait morte plutôt. Non, il n’oublierait jamais.

— Mais c’est Sir Richard !

Bolitho aperçut une femme qui se tenait dans l’embrasure, probablement « le messager ». Lady Lucinda Manners, sans doute l’une des amies les plus intimes de Belinda. Celle qui était venue déposer ce billet chez Catherine à Chelsea. Ses cheveux blonds faisaient une pyramide sur son crâne, sa robe était coupée ou descendue si bas qu’elle lui couvrait à peine la gorge… Elle l’observait, un sourire amusé aux lèvres.

— Lady Manners ? – il s’inclina légèrement : J’ai trouvé votre billet en arrivant à Londres.

— Peut-être, sir Richard, pourrais-je vous tenir compagnie jusqu’à ce que Lady Bolitho soit en mesure d’abandonner ses invités – et, apercevant Allday pour la première fois : Je m’imaginais que vous viendriez seul.

Bolitho resta impassible. Ça, je m’en serais douté. La bête faisait patte de velours : encore une tentative pour l’amadouer.

— Je vous présente Mr. Allday. Un compagnon et même un ami.

Il y avait dans le hall un fauteuil à haut dossier destiné au portier et Allday s’y installa précautionneusement.

— Je reste là à portée, au cas que vous m’appelleriez, sir Richard.

La lueur d’une bougie jeta un bref éclat sur la platine du gros pistolet dissimulé sous sa vareuse.

Lady Manners avait aperçu l’arme, elle aussi, et dit d’une voix un peu forcée :

— Mais vous n’avez rien à craindre dans cette demeure, sir Richard !

Il la regarda froidement.

— Je suis heureux de l’apprendre, madame. Bon, s’il vous était possible de ne pas retarder cette entrevue, je vous en serais fort reconnaissant.

Les murmures qu’ils entendaient au-dessus de leurs têtes cessèrent brusquement, comme si toute la maison écoutait. Bolitho entendit le froufrou d’une robe de soie contre les lambris, elle descendait ses superbes escaliers. Elle s’arrêta deux marches avant le rez-de-chaussée et l’examina calmement, semblant chercher quelque chose qui lui aurait manqué.

— Ainsi vous êtes venu, Richard.

Et elle lui tendit la main, mais il ne broncha pas.

— Pas de faux-semblant. Je suis venu pour notre enfant. C’est en quelque sorte…

— … un devoir, c’est cela que vous alliez dire ? Un devoir où entre certainement de l’affection.

Bolitho balaya ostensiblement des yeux les décorations magnifiques.

— J’ai le sentiment que la protection que je vous offre suffit plus qu’amplement, et plus qu’elle n’est méritée.

On entendit le fauteuil grincer. Elle s’exclama :

— Je préférerais ne pas évoquer ce genre de sujet devant des domestiques, qu’il s’agisse des vôtres ou des miens !

— Nous ne parlons pas la même langue.

Bolitho se rendait compte qu’il parvenait à s’adresser à elle sans haine, sans ressentir aucun des sentiments qu’il avait redoutés. Penser qu’elle l’avait même accusé de l’avoir épousée pour la pire des raisons possibles, sa ressemblance troublante avec Cheney, sa première femme.

— Allday a partagé avec moi tous les dangers possibles, toutes les horreurs de cette fichue guerre – c’est un homme que vous-même et vos amis, comme vous les appelez, méprisez cordialement, alors qu’il risque chaque jour sa vie pour préserver votre petit confort.

Et il ajouta brusquement, soudain pris de colère :

— Comment va Elizabeth ?

Elle était sur le point de répliquer, mais renonça.

— Suivez-moi.

Allday se pencha légèrement jusqu’à ce qu’ils aient disparu au tournant des escaliers. Il n’y avait pas trop de raisons de s’en faire. Bolitho était capable d’encaisser beaucoup de choses, mais il avait montré d’entrée de jeu de quel bois il se chauffait à cette lady et à l’autre putasse à moitié nue qui n’aurait pas détonné sur un trottoir à Plymouth.

Il songea à leur traversée jusqu’au Cap. Voilà qui était totalement nouveau. Avec Lady Catherine, le commandant Keen et le jeune Jenour, cela risquait fort de ressembler davantage à une croisière d’agrément qu’à une mission au service du roi. Il pensait à Lady Catherine. Comme elle était différente des catins que l’on rencontrait ici. Elle était grande et belle, une vraie femme de marin, capable de chavirer le cœur d’un homme rien qu’en le regardant. Elle était aussi capable de s’occuper des affaires de Bolitho à Falmouth et, à en croire Ferguson, le majordome et grand ami d’Allday, y avait accompli des miracles. Elle était de fort bon conseil lorsqu’il s’agissait de faire fructifier la propriété, et lorsqu’il avait fallu combler les pertes subies par la famille, à l’époque où le père de Bolitho, le commandant James, avait été contraint de vendre des terres pour rembourser les dettes de jeu de son autre fils.

À présent, ils étaient tous morts, songeait-il amèrement. À l’exception du jeune Adam, à qui Bolitho avait donné son patronyme, il n’en restait plus un seul. Imaginer que la grande demeure toute grise pourrait se vider lorsque plus aucun de ses fils ne rentrerait de mer le remplissait de tristesse.

Voilà un sentiment qu’il partageait avec Bolitho et qui le tourmentait dans son for intérieur : qu’un beau jour, une lame ennemie ou un boulet de canon les séparerait. Ils étaient comme un chien et son maître, chacun craignant que l’autre se retrouve seul.

Là-haut, les conversations avaient repris dans la salle à manger, mais Bolitho n’y prêta guère d’attention. Ils arrivèrent devant une porte décorée de dorures. Belinda se tourna vers lui et lui dit d’une voix glacée :

— Vous êtes le père d’Elizabeth et j’ai jugé que je devais vous informer. Si vous aviez été en mer, j’aurais agi différemment. Mais je savais que vous vous trouviez avec… elle.

— Vous avez bien fait, lui répondit-il en lui rendant un regard tout aussi froid. Si ma dame avait contracté la fièvre au chevet de cette malheureuse Dulcie Herrick, je crois bien que j’aurais mis fin à mes jours – il vit que le coup avait fait mouche : Mais pas avant de m’être débarrassé de vous !

Il ouvrit la porte et une femme en robe noire, qu’il supposa être la gouvernante, se leva en le voyant. Bolitho la salua d’un signe de tête puis se pencha sur l’enfant qui était couchée sur son lit, tout habillée, à demi recouverte d’un châle.

— Elle dort, fit doucement la gouvernante.

Mais c’est Belinda qu’elle regardait et non pas lui.

Elizabeth avait six ans, ou allait du moins les avoir dans trois mois. Elle était née au moment où Bolitho se trouvait à San Felipe à bord de son vaisseau amiral, l’Achate, un soixante-quatre. Keen était alors son capitaine de pavillon. C’est au cours d’un combat dans cette île qu’Allday avait reçu en pleine poitrine le terrible coup de sabre qui avait failli le tuer. Il se plaignait rarement des séquelles, mais sa blessure le laissait parfois à bout de souffle, tétanisé par une douleur dont il souffrait épisodiquement.

— Elle est tombée, dit Belinda.

La fillette sembla se réveiller au son de sa voix. Bolitho se remémorait la dernière fois qu’il l’avait vue. C’était tout sauf une enfant, une grande personne en miniature, déjà déguisée de froufrous et de soieries, comme la dame de qualité qu’elle serait un jour.

Il avait souvent comparé sa propre enfance à la sienne. Les jeux auxquels ils se livraient avec son frère Hugh, ses sœurs, des enfants du village, entre ces bateaux de pêche de Falmouth à l’étrave relevée. Ils menaient une vie saine, sans devoir subir la contrainte d’une gouvernante, ni même la présence lointaine d’une mère que sa fille ne voyait apparemment guère plus d’une fois par jour.

— Quel genre de chute ? demanda-t-il brutalement.

Belinda haussa les épaules.

— Elle est tombée de son poney. Le maître de manège la surveillait de près, mais elle a voulu faire l’effrontée. Elle s’est fait mal au dos.

Bolitho s’aperçut soudain que sa fille, les yeux grands ouverts, le regardait fixement. Comme il se penchait pour lui caresser la main, elle se détourna brusquement et essaya de se réfugier auprès de sa gouvernante.

— Pour toi, ce n’est qu’une étrangère, fit lentement Belinda.

— Nous sommes tous étrangers les uns aux autres dans cette maison, lui répondit Bolitho.

Il avait surpris une grimace de douleur sur le visage de l’enfant.

— Avez-vous fait venir un médecin ? Un bon médecin, j’entends.

— Oui.

Cela sonnait comme : oui, naturellement.

— Combien de temps après l’accident ?

Il sentait le regard de la gouvernante aller de lui à elle, comme un second inexpérimenté au cours d’un duel.

— J’étais absente lorsque cela s’est produit. On ne peut pas me demander de tout faire.

— Je vois.

— Comment, je vois ? – elle n’essayait plus de dissimuler sa colère et son mépris : Vous ne tenez aucun compte du scandale que vous avez créé en vivant avec cette femme – comment pourriez-vous seulement espérer comprendre ?

— Je vais faire demander un vrai chirurgien.

Le ton sur lequel Belinda lui parlait le laissait parfaitement indifférent. Cette femme était celle qui avait abandonné Dulcie Herrick mourante après avoir simulé la plus parfaite amitié. Celle qui avait essayé de tirer profit de la répugnance de Herrick pour la liaison qu’elle entretenait avec son mari, qui avait tenté de la discréditer avant de fuir finalement cette maison devenue pestilentielle. Il essaya de ne plus songer à son vieil ami Herrick. Lui aussi, il vivrait ou mourrait dans le déshonneur si la cour martiale en décidait ainsi. Il lui répondit enfin :

— Pour une fois, essayez donc de penser aux autres avant de penser à vous-même.

Il s’approchait de la porte lorsqu’il prit conscience de ce qu’il ne l’avait pas une seule fois appelée par son prénom. Il aperçut alors un curieux passer la tête par l’ouverture de la salle à manger.

— Je suppose que vos amis vous attendent.

Elle l’accompagna jusqu’en haut des marches.

— Un jour, Richard, votre célèbre chance vous abandonnera ! Et je ferai tout mon possible pour assister à ce spectacle !

Bolitho descendit dans le hall, Allday bondit de son fauteuil.

— Nous rentrons à Chelsea, Allday. Je vais demander à Mathieu de porter un billet à Sir Piers Blachford, de l’Académie de chirurgie. Je crois que cela vaut mieux.

Il s’arrêta à la portière de la voiture pour contempler le feu autour duquel de sombres silhouettes se pressaient.

— On respire mieux dès que l’on sort d’ici.

Allday monta avec lui sans dire un mot. Il y avait de l’orage dans l’air, tous les signes étaient là.

Il avait surpris le regard que lui avait jeté Belinda en haut des marches. Elle aurait fait n’importe quoi pour faire revenir Bolitho, mais elle serait tout aussi contente de le savoir mort. Il sourit : Dans ce cas, il faudra qu’elle me passe sur le corps, ça, c’est sûr !

 

L’amiral Lord Godschale remplit deux verres de cognac et se tourna vers Bolitho qui se tenait près de la fenêtre d’où il observait le spectacle de la rue. L’amiral s’irritait sans cesse davantage de jalouser cet homme qui semblait ne jamais vieillir. Si l’on ignorait la mèche rebelle qui dissimulait sa profonde cicatrice au front et qui avait brutalement viré au blanc, ses cheveux avaient gardé leur noir de jais. Il était toujours aussi mince et svelte, tout le contraire de Godschale. La chose était étrange. Ils avaient tous deux servi comme capitaines de vaisseau au cours de la guerre de l’Indépendance américaine, ils avaient en outre été promus le même jour. À présent, les traits plutôt délicats de Godschale s’étaient empâtés, tout comme son corps. Ses joues rubicondes portaient les stigmates que donne l’abus de la bonne chère. Dans ces lieux, à l’Amirauté, dans ces bureaux somptueux, son pouvoir éprouvait sans mélange tout bâtiment, gros ou petit, chaque port de guerre. L’amiral eut un sourire ironique : le roi était sans doute incapable de tous les citer par leur nom, mais il aurait bien été le dernier à en parler.

— Vous me semblez fatigué, sir Richard.

La remarque sortit Bolitho de ses pensées.

— C’est vrai, un peu fatigué.

Il prit le verre que Godschale avait fait tiédir au-dessus des flammes. Il n’était pas encore midi, mais il sentait qu’il en avait besoin.

— J’ai appris que vous étiez sorti la nuit dernière. J’espérais…

Un éclair passa dans les yeux gris de Bolitho.

— Puis-je vous demander qui vous a dit que je m’étais rendu chez ma femme ?

Godschale se renfrogna.

— Lorsque je l’ai su, j’ai caressé l’idée que vous vous rapprochiez peut-être de votre épouse.

Bolitho lui jetait toujours un regard incendiaire et il perdait de son assurance.

— Peu importe. Il s’agit de votre sœur, Mrs. Vincent. Elle m’a écrit récemment au sujet de son fils. Miles. Vous avez décidé de ne plus le protéger, il me semble, alors qu’il servait comme aspirant à bord du Prince Noir… Vous vous êtes montré un peu sévère envers ce jeune homme, sans doute ? Surtout si l’on songe qu’il venait de perdre son père.

Bolitho avala son cognac d’un trait et attendit que cela le calme.

— En réalité, milord, j’ai été trop bon avec lui.

Voyant que Godschale levait un sourcil dubitatif, il expliqua :

— Il n’était absolument pas fait pour ce métier. Si je n’avais pas agi comme je l’ai fait, j’aurais prescrit à mon capitaine de pavillon de le faire passer en cour martiale pour lâcheté devant l’ennemi. Et pour quelqu’un qui adore rendre public le moindre scandale, j’ai l’impression que ma sœur n’a rien compris du tout !

— Parfait.

Les paroles manquaient soudain à Godschale, ce qui était plutôt rare chez lui. La jalousie. Ce mot lui courait dans la tête. Il réfléchit : il était tout-puissant, il était riche, il ne risquait pas comme les commandants placés sous ses ordres d’y laisser la vie ou un bras. Il était affligé d’une femme tristounette, mais parvenait à trouver quelque réconfort dans d’autres bras. Et il songea alors à la ravissante Lady Somervell. Mon Dieu, pas besoin de me demander encore pourquoi je suis jaloux de ce garçon impossible.

Il insista tout de même :

— Mais vous y êtes donc allé ?

— Ma fille est souffrante, répondit Bolitho en haussant les épaules.

Pourquoi est-ce que je lui raconte tout ça ? Cela ne le regarde pas.

Comme l’histoire de l’aspirant. Une autre tentative pour le sonder. Il connaissait suffisamment son Godschale de réputation, celui d’hier comme celui d’aujourd’hui, pour savoir qu’il n’hésiterait pas à faire pendre ou fouetter quiconque menacerait la sécurité de sa position. De même qu’il n’avait jamais manifesté le moindre intérêt pour les hommes qui, mois après mois, affrontaient la tempête ou l’encalminage et une mort atroce en prime.

— Je suis désolé. Que peut-on faire ?

— Lady Catherine s’entretient en ce moment même avec un chirurgien qu’elle connaît parfaitement.

Son œil blessé se mit soudain à le picoter, comme pour lui rappeler qu’il mentait : ce n’était pas la raison pour laquelle elle était partie consulter ce grand échalas de Blachford.

Godschale hocha pensivement la tête : la femme de Bolitho pouvait-elle supporter cette intrusion ?

Bolitho lisait à livre ouvert dans ses pensées. Il se souvenait de la voix de Catherine, allongée près de lui dans l’obscurité. Ils avaient passé la plus grande partie de la nuit à discuter. Comme de coutume, elle analysait les choses bien plus clairement que lui.

— Tu t’inquiètes beaucoup, Richard, parce que tu te sens responsable. Mais tu n’es pas responsable. C’est elle qui a fait de cette enfant ce qu’elle est. J’ai bien souvent constaté ce genre de phénomène. Je vais aller voir Sir Piers Blachford – c’est l’un des rares en qui j’aie confiance. Je suis sûre qu’il peut faire quelque chose pour Elizabeth – ou bien il trouvera quelqu’un d’autre. Mais je ne veux pas te voir te faire du mal en retournant dans cette demeure. Je sais pertinemment qu’elle n’a pas renoncé à le faire… Comme si tu ne lui avais pas déjà assez donné de toi-même.

Bolitho reprit la discussion :

— Peu importe, milord, je suis sûr que vous ne m’avez pas appelé pour me parler de mes soucis domestiques.

Bizarrement, Godschale parut soulagé de changer de sujet. Jusqu’à la prochaine fois.

— Non, bien sûr. Bien sûr. J’ai arrêté tous les détails de votre mission au Cap, mon aide de camp vous expliquera – il se racla la gorge à grand bruit : Mais, pour commencer, il y a cette cour martiale. La date est fixée, ce sera pour la fin de la semaine prochaine. J’en ai avisé votre capitaine de pavillon – il le regarda d’un œil soupçonneux : Ce n’est pas un hasard si j’ai choisi le Prince Noir pour tenir cette session. Vous serez entre vous. On peut interrompre les travaux de carénage pendant la durée des auditions.

— Qui présidera la cour ? demanda lentement Bolitho.

Godschale farfouilla dans quelques papiers empilés sur son bureau, comme s’il ne se le rappelait pas. Il s’éclaircit la gorge une seconde fois et finit par lâcher :

— L’amiral Sir James Hamett-Parker.

Bolitho crut que tout chavirait autour de lui. Il se souvenait trop bien de cet homme-là, un homme sévère, au visage impassible, aux lèvres pincées. Un homme craint bien plus qu’il n’était respecté.

— J’irai témoigner, milord.

— Uniquement si on vous le demande – en tant que témoin arrivé après coup, si j’ose dire.

Un détachement de dragons passait dans un claquement de sabots. Bolitho se détourna de la fenêtre.

— Dans ce cas, il est condamné d’avance – puis, vivement et se surprenant lui-même de son ton presque suppliant : Je dois faire quelque chose, milord. C’est mon ami.

— Vraiment ? fit Godschale en remplissant leurs verres. Voilà qui m’amène à aborder un autre sujet… La cour est disposée à vous voir assurer sa défense. En réalité, c’est moi qui ai eu cette idée. Toute cette affaire risque de ne servir à rien, si ce n’est à atteindre la Flotte. Je pense à tous ces officiers qui sont livrés à eux-mêmes sans aucune aide et qui ne peuvent compter que sur leur propre jugement. L’armée a un pied au seuil de l’Europe. Tous, amiraux et commandants, doivent garder confiance si cette grande aventure se termine par un succès. Si nous échouons, nous n’aurons pas droit à un nouvel essai.

Bolitho se fit la réflexion qu’il avait affirmé exactement le contraire lors d’un entretien précédent, mais cela n’avait plus d’importance.

— Voulez-vous dire que le contre-amiral Herrick a refusé que j’assure sa défense ?

Il revoyait encore Herrick lors de leur dernière rencontre, ce visage buté, ce regard blessé, amer.

— Qui a-t-il choisi pour ce faire ?

Godschale jeta un coup d’œil à la pendule. Mieux vaudrait que Bolitho fût parti lorsque sa sœur arriverait, il avait déjà bien assez de problèmes comme cela.

— Vous avez mis le doigt dessus, sir Richard. Il n’a choisi personne.

Il l’observait attentivement. Godschale n’était pas du genre à laisser quelqu’un mettre en péril sa position ni son pouvoir. Mal à l’aise, il se demanda soudain si ce que l’on disait de cet homme était vrai. Et si lui-même allait succomber au charisme de Bolitho ?

— Il est cependant une chose que vous pourriez faire.

Assez surpris, Bolitho assistait à la lutte intérieure qui se déroulait chez l’amiral. Pour dire vrai, il ne l’avait encore jamais vu réagir ainsi.

— Je ferais n’importe quoi.

Godschale transpirait légèrement, et ce n’était ni l’effet du cognac ni celui de la flambée.

— Le contre-amiral Herrick se trouve à Southwark. Le prévôt doit venir le prendre là-bas après-demain pour le conduire à Portsmouth par la diligence. Vous devrez faire preuve de la plus grande discrétion, la Flèche de Portsmouth est empruntée par de nombreux marins et vous pourriez être reconnu. Cela risquerait de vous entraîner trop loin… peut-être même de vous faire accuser de collusion.

Bolitho leva la main pour l’arrêter.

— Je vous remercie de ce que vous faites, amiral. Cela compte pour moi plus que vous ne sauriez croire. Mais, un jour, je vous le revaudrai, si je le puis. Et ne craignez rien : vous ne m’avez rien dit.

Godschale essaya de prendre l’air modeste, sans vraiment y parvenir.

— De toute manière, personne ne croirait que vous avez appris quelque chose, encore moins venant de moi !

Alors que les portes s’étaient refermées depuis longtemps derrière Bolitho, Godschale contemplait encore la fenêtre près de laquelle s’était tenu son visiteur. Il avait vaguement envie de regretter ce qui s’était passé, et pourtant, il se sentait soulagé.

Tout sourire, le secrétaire apparut après avoir entendu son maître le sonner.

— Milord ?

— Faites chercher ma voiture. Immédiatement.

Le secrétaire jeta un regard à la pendule, tout étonné de la conduite de l’amiral.

— Mais, milord, Mrs. Vincent doit arriver dans une heure !

— Faut-il que je vous répète deux fois les choses ? Ma voiture !

Le secrétaire s’éclipsa et Godschale se remplit un autre verre de cognac.

Je suis jaloux. Il avait parlé à haute voix dans la pièce où il se trouvait seul : « Le diable vous emporte, Bolitho, vous me faites prendre un sacré coup de vieux ! Plus tôt vous aurez repris la mer, mieux cela vaudra, pour nous tous ! »

 

Il faisait nuit noire lorsque la voiture de Bolitho s’arrêta devant l’auberge de Southwark. Ils avaient franchi cahin-caha London Bridge pour passer sur la rive sud de la Tamise. Il avait l’impression de flairer l’odeur de la mer et des nombreux navires à l’ancre. Il se demanda si Allday se faisait la même remarque, s’il songeait déjà à leur traversée pour Le Cap.

Il entendit Mathieu pousser un juron dans son siège et sentit les roues tressauter dans un éboulis de pierres. Mathieu jurait rarement, c’était un cocher hors pair, mais ils avaient dû emprunter cette voiture pour la circonstance. Il leur aurait été impossible de garder le secret si qui que ce soit avait aperçu les armes de Bolitho.

Ils ralentirent en dépassant une lourde malle-courrier qui stationnait devant la célèbre Auberge de George, point de départ pour de très nombreux officiers de marine d’un voyage long et inconfortable à destination de Portsmouth. On avait dételé les chevaux et la voiture semblait abandonnée, mais de nombreux valets d’écurie et autres garçons de l’auberge s’occupaient déjà à charger coffres et malles sur le toit tandis que les voyageurs avalaient un dernier repas solide arrosé de madère ou de bière selon l’humeur de chacun. Auberge de George était l’endroit de Londres entre tous où Bolitho risquait fort d’être reconnu.

Une auberge plus modeste, Au Cygne, se trouvait un peu plus loin le long de la route. C’était également un relais de poste, agrémenté en façade d’un balcon semblable à celui de l’Auberge de George. Là s’arrêtait la ressemblance. Le Cygne était surtout fréquenté par des négociants qui profitaient de l’endroit pour faire une halte ou parler affaires sans craindre d’être interrompus.

Des silhouettes grises se précipitèrent dans la cour pour prendre les brides des chevaux et, derrière un rideau entrouvert, une tête apparut. Quelqu’un qui se demandait avec curiosité qui étaient les nouveaux arrivants. L’estomac d’Allday émit un sourd gargouillement.

— Je sens l’odeur de la bouffe, sir Richard !

— Allez voir l’aubergiste, lui répondit Bolitho en le prenant par le bras. Et avalez donc un morceau.

Il descendit de la voiture. Une brise piquante soufflait du fleuve. Plus en amont, dans leur petite maison de Chelsea, Catherine devait contempler ce même fleuve, essayant d’imaginer l’endroit où il se trouvait.

Un homme de forte corpulence sortit d’une porte latérale et apparut dans une tache de lumière.

— Dieu me damne, sir Richard ! Pour une surprise, c’est une surprise !

Jack Thornborough avait commencé comme commis aux vivres pendant la guerre d’Indépendance. Lorsqu’il avait mis sac à terre, il avait trouvé un emploi au dépôt de la marine de Deptford, tout près d’ici. On ne racontait pas que des choses aimables sur son compte, d’aucuns prétendaient qu’il avait tellement roulé le dépôt dans la farine avec la complicité des commis embarqués sur les vaisseaux qu’il avait amassé assez d’argent pour acquérir la vieille auberge du Cygne avec les réserves et la cave.

— Vous avez deviné la raison de ma venue, Jack.

Le crâne chauve de l’homme luisait dans cette semi-pénombre. Il avait l’air d’un conspirateur.

— ’l'est dans sa chambre, sir Richard. Y devions v’nir l’chercher après-d’main, c’est ça qu’y z’ont dit, mais risquent ben de v’nir p’us tôt qu’ça.

— Il faut absolument que je le voie. Et personne ne doit être au courant.

Thornborough le conduisit jusqu’à la petite porte et referma à clé derrière lui. C’est alors qu’il nota avec étonnement la tenue que Bolitho avait enfilée pour l’occasion, coiffure noire sans ornements et manteau sans aucun insigne.

— Sauf vot’respect, vous r’semblez plus à un gentilhomme en voyage qu’à un amiral !

Bolitho sentit son estomac se recroqueviller et se dit soudain que, tout comme Allday, il n’avait rien avalé depuis l’aube.

— Jack, occupez-vous donc de mes gens, voulez-vous ?

Thornborough salua en portant la main à son front : l’espace d’une seconde, il était redevenu le marin qu’il avait été.

— Vous pouvez compter sur moi, sir Richard ! – puis, à nouveau sérieux : En haut de l’escalier, sur votre droite. Vous ne croiserez personne, et personne ne vous verra non plus.

On lui avait donc donné un logement des plus discrets. Ce que l’on réservait sans doute à des bandits de grand chemin, ou à des amants soucieux de se cacher. Ou encore, à présent, à un homme qu’il connaissait depuis un quart de siècle, qui risquait la mort ou la déchéance.

À sa surprise, il arriva sans s’essouffler sur le palier après avoir grimpé les marches grinçantes. Résultat des innombrables promenades à pied en compagnie de Catherine sur les falaises de Falmouth ou encore dans les champs où elle lui expliquait ce qu’elle avait fait avec Ferguson pour améliorer le rendement des terres. Plus étonnant encore, elle avait gagné la considération de Lewis Roxby, lequel gardait toujours un œil sur les propriétés de Bolitho. Il avait d’ailleurs acquis quelques terres qu’il avait fallu mettre en vente pour éponger les dettes du frère de Richard. Après tout, il était marié à la sœur préférée de Bolitho. Nancy. Il était content que Catherine et elle fussent devenues amies. Rien à voir avec Félicité, qui la haïssait tant.

Il cogna à la porte, une porte sale de couleur sombre : résultat d’années de fumée, celle qui montait des nombreuses cheminées de l’auberge, de rendez-vous nocturnes entre personnes qui voulaient surtout ne pas être vues. Mais Jack Thornborough n’était pas homme à le laisser tomber. Il avait servi à bord d’une frégate commandée par Hugh, son frère défunt, et, en dépit de sa trahison, avait toujours parlé de lui en bons termes. Car, chacun le sait, la marine est une grande famille : tôt ou tard, on retombe sur les mêmes bâtiments, les mêmes visages. Et ceux qui ont disparu, on ne les oublie pas. Bolitho frappa une seconde fois, se demandant finalement s’il y avait quelqu’un. Il avait peut-être fait tout ce trajet en pure perte.

— Allez-vous-en, fit une voix.

Bolitho poussa un grand soupir : c’était Herrick.

— Thomas, c’est moi, Richard.

Un long silence, puis la porte s’entrouvrit très légèrement. Herrick recula un peu pour laisser Bolitho entrer. La petite chambre, pauvrement éclairée, était jonchée de vêtements. Il y avait là un coffre de marin grand ouvert et, plus incongrue, posée sur une table au milieu de quelques lettres, la magnifique lunette, le dernier cadeau de Dulcie.

Herrick enleva son manteau d’une chaise et regarda son visiteur droit dans les yeux. Il était voûté et, à la lueur de la bougie, ses cheveux semblaient plus gris qu’avant. Mais le regard était toujours vif et il n’y avait que de la bière sur une seconde table, pas de trace ni odeur du moindre cognac.

— Mais que faites-vous donc ici. Richard ? J’avais pourtant dit à cet imbécile de Godschale de ne pas vous envoyer me voir… J’ai agi comme je croyais devoir le faire. Et ils peuvent bien aller au diable, je ne reviendrai jamais là-dessus !

Il alla se chercher un siège et Bolitho constata avec tristesse qu’il boitait bas, conséquence de sa blessure. Il avait été touché par un éclis sur la dunette du Benbow, entouré de ses fusiliers et de ses canonniers qui jonchaient le pont comme des loques sanglantes.

— Vous avez besoin d’aide, Thomas. Il faut que quelqu’un témoigne en votre faveur. Vous savez qui va présider la cour ?

Herrick esquissa un pauvre sourire.

— Je suis au courant. Il aura tué plus des siens que d’ennemis, voilà qui est sûr !

On entendit sur les pavés un bruit de roues puis celui des harnais que l’on ôtait. Une seconde voiture arrivait, semblant surgir d’un autre monde. Et si c’était le prévôt de l’Amirauté ? Il y avait un seul escalier et même Thornborough, pour impressionnant qu’il fût, n’arriverait pas à le retenir très longtemps. Herrick reprit brusquement :

— Peu importe, vous serez appelé comme témoin – il avait pris un ton cinglant, amer : On vous demandera de faire le récit du spectacle que vous avez découvert. Et en tant que témoin, il vous sera interdit de prendre ma défense, même si je le désirais – il fit une panse : Je rends simplement grâce à Dieu que ma Dulcie n’ait pas vécu pour voir ce qui m’arrive – puis, jetant un regard sur la lunette : J’ai même songé à mettre fin à mes jours. Qu’ils aillent au diable avec leurs histoires d’honneur.

— Ne dites pas cela, Thomas, cela ne vous ressemble pas.

— Vraiment ? Je ne suis pas issu comme vous d’une longue lignée d’officiers de marine – cela sonnait comme un reproche. Je suis parti de rien, ma famille était pauvre. Et grâce à vous, j’ai réussi l’impossible – je suis amiral. Et où cela m’a-t-il mené, hein ? Je m’en vais vous le dire : probablement devant le peloton d’exécution, pour faire un exemple. Au moins, ce ne seront pas mes propres fusiliers – ils sont tous morts et sacrément morts.

Il fit un geste vague, comme un homme en plein rêve.

— Ils sont quelque part, là-bas. Et ils sont morts pour moi, c’est moi qui en ai décidé ainsi.

Il se leva brusquement. Bolitho n’avait pas en face de lui l’amiral, mais le lieutenant de vaisseau obstiné, consciencieux, qu’il avait connu à bord de la Phalarope.

— Je sais que vous faites tout votre possible, Richard, reprit Herrick. Mais…

— Nous sommes amis, insista Bolitho.

— Vous n’allez pas mettre en péril à cause de moi tout ce que vous avez accompli jusqu’ici. À présent, je ne me soucie plus de ce qui risque de m’arriver, c’est la vérité. Maintenant, laissez-moi, je vous prie.

Il lui tendit la main, une main aussi ferme que celle du lieutenant de vaisseau qu’il avait été.

— Vous n’auriez jamais dû venir.

Bolitho retint sa main dans la sienne.

— N’esquivez pas, Thomas. Nous avons perdu tant de nos amis. Les « Heureux Elus » – vous vous souvenez ?

— Ouais, fit Herrick, les yeux perdus dans le vague. Dieu les bénisse.

En reprenant sa coiffure sur la table, Bolitho aperçut à la lueur de deux chandelles une lettre prête à expédier. Elle était adressée à Catherine. Il reconnut l’écriture enfantine de son auteur. Herrick lui dit, comme sans y toucher :

— Prenez-la, si vous voulez. J’ai essayé de la remercier après ce qu’elle a fait pour ma Dulcie. C’est une femme d’un grand courage, je le lui accorde bien volontiers.

— J’aurais aimé que vous le lui disiez en personne, Thomas.

— Je suis toujours resté fidèle à mes convictions, à ce que je crois ou non être vrai. Ce n’est pas maintenant que je vais changer, même si l’on m’en donne la possibilité.

Bolitho mit la lettre dans sa poche. Sa visite n’avait servi de rien, il perdait son temps, comme Godschale l’avait pressenti.

— Nous nous reverrons la semaine prochaine. Thomas.

Il sortit sur le palier plongé dans la pénombre et entendit la porte se refermer derrière lui alors qu’il n’avait pas encore atteint la première marche.

Dans la cuisine où son monde s’affairait, Thornborough l’attendait. Il lui dit doucement :

— J’ai fait préparer une terrine à vot’intention, sir Richard, avant qu’vous repartiez.

Bolitho avait le regard perdu dans la nuit. Il hocha négativement la tête.

— Non. Merci, mais je n’ai pas le cœur à avaler quoi que ce soit, Jack.

L’aubergiste était grave.

— Ça s’est pas bien passé, hein ?

Bolitho ne répondit pas, il n’arrivait pas à trouver les mots. Et il n’y avait rien à dire. Ils étaient maintenant comme des étrangers.

 

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